27 août 2012

Et le rideau sur l’écran est tombé

La dernière séance, Larry McMURTRY

Chronique amère et texane de la fin de l’adolescence : l’impossible rêve américain.

1951. Dernière année de lycée pour Duane et Sonny dans la petite ville de Thalia, perdue au fin fond du Texas. Entre l’école, le sport et les petits boulots, la jeunesse de Thalia traine son ennui entre la salle de billard et les séances de cinéma du samedi soir. L’occasion pour Duane et Sonny de tenter d’aller voir ce qui se cache sous les vêtements du sexe opposé. Duane a emporté le gros lot en la personne de Jacy, la plus jolie fille du coin qui peut, quand ça l’arrange, se laisser faire ; tandis que Sonny doit se contenter de Charlene avec qui il est hors de question de s’aventurer au-delà du chaste baiser sous peine de brûler en enfer. Les hormones travaillent dur mais, dans l’Amérique pudibonde et étriquée de l’époque, sexe, dégoût et culpabilité forment un mélange amer. Qu’importe, l’important est de se bâtir un futur et de tenter le coup du rêve américain. Même si à Thalia, les chances d’y parvenir sont minces.
En chroniquant la vie de ces jeunes gens à l’entrée de leur vie adulte, McMurtry invite le lecteur dans une balade tendre et mélancolique dans un coin perdu du Texas. Les grands ados du roman hésitent entre légèreté et gravité. Profiter des derniers rayons de l’insouciance tout en pensant à construire un avenir qui, à Thalia, se résume vite à trouver du boulot sur une plateforme pétrolière ou s’engager sous la bannière étoilée et partir en Corée. Le reflet du monde que leur tendent les adultes est un quotidien sans saveur, où les espoirs déçus sont étouffés dans l’alcool et la dépression. Ruth, la femme de l’entraineur du lycée, atteinte d’un cancer, découvre soudainement que la vie est aussi ailleurs et que faire l’amour ne se limite pas au devoir conjugal du premier samedi du mois, toutes lumières éteintes. Car l’étroitesse d’esprit de tout ce petit monde cache tant bien que mal un cruel désir des sens. Tout le monde y pense, personne n’en parle. 
Le seul personnage véritablement insouciant du roman est sans conteste Billy, le simplet, l’idiot du village, parfois tyrannisé et moqué par les autres, et qui inlassablement nettoie la ville avec son balai. S’il ne trouve personne sur son chemin pour le ramener chez lui, Billy est capable de balayer jusqu’à l’infini, inlassablement. À l’image de ce geste absurde et poétique, les autres héros du roman tentent du mieux qu’ils peuvent de rêver d’ailleurs même si la réalité à laquelle ils se confrontent chaque jour est loin de ressembler à un film hollywoodien.

D’autres avis chez In Cold Blog.

 Référence :
La dernière séance, Larry McMURTRY, traduit de l’anglais (
États-Unis) par Simone Hilling, Gallmeister, collection « Totem », 2011.

22 août 2012

Toi, mon amie...

Kéthévane DAVRICHEWY, Les séparées

Une analyse tout en finesse sur la rupture d'une amitié. Un troisième roman subtil et touchant.

Alice et Cécile sont amies depuis presque toujours. Elles se sont rencontrées sur les banc de la maternelle, retrouvées sur ceux de l'école primaire pour ne plus se quitter pendant très longtemps. Pourtant tout les oppose : Alice a une famille unie, des parents qui s'aiment, deux sœurs dont elle est proche et vit dans un HLM. Cécile a un père riche et autoritaire, qui a eu trois épouses et un fils qu'il méprise. Alice est vive et spontanée. Cécile est plus sensible et fragile. Mais leur amitié est très forte.
Le roman s'ouvre sur la victoire de Mitterand, le 10 mai 1981. Cécile est chez Alice, la famille saute de joie et décide de fêter ça. Cécile s'amuse à imaginer la rage de son père.
Dans le chapitre suivant, trente ans plus tard, Alice est en train de quitter son mari, ses enfants sont grands et on apprend qu'elle ne voit plus Cécile. 
Qu'est-ce qui a donc brisé cette longue et profonde amitié ? Nous l’apprenons peu à peu, en lisant tour à tour les flash-back sur la jeunesse des deux amies, la vie d'Alice et le monologue de Cécile qui, plongée dans un coma dont personne ne sait si elle ressortira, s'adresse à Alice pour tenter de comprendre ce qui les a séparées.
On retrouve dans ce roman tous les ingrédients d'une histoire d'amitié d'adolescentes quelque peu clichée : les premiers amours, la découverte de la sexualité, la drogue, le sida, les relations familiales difficiles, l'inceste... Et pourtant, la finesse de l'écriture de Kéthévane DAVRICHEWY, l'alternance de discours, le bilan que font les deux amies à un âge où elles savent que le plus gros est derrière elles en font un récit absolument savoureux. Et surtout, Cécile et Alice adolescentes sont tout à fait crédibles et bien loin des descriptions superficielles et fausses de la plupart des romans qui parlent de la jeunesse.
Le très beau roman de Kéthévane DAVRICHEWY est un récit qui nous rappelle également qu'une histoire d'amitié, à l'instar d'une histoire amoureuse, peut être à la fois intense, déterminante, bénéfique et douloureuse.

Référence :
Kéthévane DAVRICHEWY, Les séparées, Sabine Wespieser éditeur, 2012.

15 août 2012

Le syndrome toscan

Monteriano, E.M. FORSTER

Réédition du premier roman de Forster qui porte en lui les germes de son œuvre à venir. Vous reprendrez bien un peu de Toscane ?

Lilia, veuve depuis peu, s’en va pour un voyage d’une année en Italie, laissant aux soins de sa belle-famille l’éducation de sa petite fille. La jeune anglaise fera plus que s’éprendre de la beauté des paysages puisqu’elle va commettre la pire des horreurs : épouser un bel Italien, fils du dentiste de Monteriano, un village toscan ! Philippe, le frère du mari défunt, tentera de s’opposer à cette union qui vient ternir la réputation de sa respectable famille. Trop tard. Le mariage est conclu et les ennuis ne font que commencer.
Dans son premier roman, enfin réédité, Forster mettait déjà en scène les thèmes qui se retrouveront dans ses œuvres postérieures : les rapports de classe (Howards End), l’envie de se libérer de la société corsetée de l’époque (Maurice) et, bien sûr, la fascination que l’étranger exerce sur les Britanniques. La Toscane de l’auteur d’Avec vue sur l’Arno possède une beauté sauvage qui chamboule les esprits et les cœurs. Monteriano n’existe que dans la fiction. C’est un lieu inspiré d’autres villages (dont San Giminiano) et qui en rassemble toutes les caractéristiques ; un concentré de toscanitude, fatal pour les âmes trop sensibles. Loin des habitudes et de la rigueur de leur quotidien britannique, les personnages de Monteriano se perdent, doutent ou bien se révèlent. C’est la version bucolique et philosophique du "syndrome toscan" (appelé aussi "syndrome de Stendhal"). Les dialogues sur les mœurs et les sentiments sont pleins d’esprit et d’ironie mais cependant l’intrigue hésite trop entre comédie et drame et, au final, tombe dans le coup de théâtre tragique qui alourdit inutilement la démonstration.
Si vous n’avez jamais lu Forster, il vaudra donc mieux commencer par un des romans cités plus haut ou découvrir son univers à travers les magnifiques adaptations au cinéma du James Ivory.

Référence :

Monteriano, E.M. FORSTER, traduit de l’anglais par Charles Mauron, Le Bruit du temps, 2012.

7 août 2012

Parce que la vie est un sport ?

Hunger Games, Suzanne COLLINS

Un roman d’anticipation, best-seller auprès des 15-18. Harry Potter ira-t-il ranger son balai au placard ?

Il y a plusieurs mois, en classe, nous parlions des romans d’initiation et l’un de mes élèves a fait référence à Hunger Games. Je ne connaissais pas et j’ai eu le malheur de le dire. Silence total. C’est un peu comme si j’avais demandé qui était Harry Potter… Ou sorti une cassette audio de mon sac. Bref : j’avais officiellement l’âge de leurs grands-parents !
Un peu plus tard, j’ai raconté l’anecdote à Juliette, la fille d’un couple d’amis avec qui je fais un peu de grammaire de temps en temps. Entre une subordonnée relative et un complément du groupe adverbial (no comment), elle m’a expliqué que ce livre était l’un de ses préférés. Et, voyant peut-être qu’il en allait de ma réputation auprès de mes élèves, elle m’en a gentiment fait cadeau. J’ai donc lu Hunger Games, sans a priori et même plutôt curieux.
En Amérique du Nord, dans un futur plus ou moins proche, les douze districts de Panem doivent chaque année s’affranchir d’une étrange taxe. Deux enfants de chaque district sont tirés au sort pour participer à un jeu télévisé où vingt-quatre candidats doivent s’entretuer dans un environnement hostile jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul participant. Katniss, 16 ans, va se porter volontaire afin d’épargner sa petite sœur et découvre l’enfer des Hunger Games…
L’intrigue tient assez bien la route (même si on imagine mal l’héroïne se faire dégommer au début de l’épreuve…) et ce roman d’anticipation a parfaitement intégré, à travers l’idée du jeu télévisé, l’omniprésence du regard de l’autre sur nos actions et nos émotions. Dans ce Koh-Lanta mortel, les participants sont constamment filmés et écoutés par des caméras invisibles et c’est par d’énormes écrans qui apparaissent dans le ciel qu’ils apprennent chaque jour le nom des éliminés. Consciente de son rôle dans cette société de l’image et du spectacle, Katniss doit, en plus de sa lutte contre le froid, la faim et les autres concurrents, anticiper les attentes des spectateurs avides de sensations fortes afin de sauver sa peau.
Du point de vue de l’écriture, c’est un peu indigeste. Abondance de dialogues bourrés de stéréotypes, absence de style, flash-backs appuyés… Le plus ennuyeux est la volonté de l’auteure de tout expliquer des pensées du personnage, qui n’est pourtant pas bien difficile à comprendre. Il est quand même étonnant de voir que la demoiselle, un peu greluche sur les bords, à la veille du début des jeux, s’inquiète beaucoup de sa tenue et de ses cheveux… Le plus dérangeant reste le fait que les personnages ne semblent jamais véritablement se rebeller face au système fasciste qui les pousse à s’entretuer. La révolte est peut-être abordée dans les tomes 2 et 3 mais je crains que pour moi l’aventure s’arrête ici.

Avis partagé par Argali; plus d’enthousiasme chez Liliba.

Référence :

Hunger Games, Suzanne COLLINS, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier, Pocket Jeunesse, 2009.