26 septembre 2013

Last Christmas…

Esprit d’hiver, Laura KASISCHKE

Un roman intimiste et angoissant où, une fois encore, Kasischke règle ses comptes avec les fondamentaux de l’american way of life tout en déjouant les attentes du lecteur. 

Un matin de Noël, au réveil. Holly est soudainement face à une évidence terrible : « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. » Et si elle n’avait abandonné depuis longtemps l’idée de devenir une grande poétesse, Holly se serait isolée pour coucher sur le papier cette idée dont la puissance la laisse un peu hagarde.
Mais pas de temps pour l’écriture : elle s’est réveillée plus tard que d’habitude et il faut s’affairer aux préparatifs de la fête. Eric, son mari, est déjà en route pour aller chercher sa famille à l’aéroport. Tatiana, leur fille âgée de quinze ans, l’aidera à mettre la table, à préparer le repas. Malgré les signes d’agacements et d’impatience qui trahissent l’entrée de Tatiana dans l’adolescence, elle est toujours aussi affectueuse et dévouée. Et Noël se prête plutôt bien aux bons sentiments.
Cependant, l’étrange impression qu’Holly avait ressentie à son réveil s’installe à mesure que les événements lui échappent. Un blizzard inattendu se lève et recouvre d'un lourd manteau blanc l’extérieur de la maison. Eric ne revient pas. Les autres invités décommandent, laissant la mère et la fille seules, face à face. Tatiana s’enferme dans une animosité qu’Holly ne lui connaît pas et une angoisse diffuse gagne peu à peu la maison.

Holly relâcha son étreinte autour de sa fille, et Tatiana, qui était restée raide tout ce temps, se redressa, s’écarta de se mère et repartit en silence dans sa chambre. Holly entendit la porte se fermer avec un cliquetis net, puis se pouvait-il (ça n’était pas possible) qu’elle ait entendu Tatiana glisser le crochet dans son anneau ? Ce crochet et cet anneau qu’elle avait tout bonnement refusé de reconnaître la présence depuis que Holly les avait installés pour elle ? Alors c’était à ça qu’allait ressembler cette journée ? Ne lui pardonnerait-on donc jamais d’avoir dormi trop tard ?

Oui, décidément : « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. »
Et pourtant, depuis qu’Eric et Holly avaient fait ce long voyage pour aller adopter cette jolie petite fille aux cheveux sombres, la vie leur avait semblé si facile. Au fil des pages, pourtant, des failles apparaissent dans le récit des souvenirs de Holly. Un monde de non-dits, d’impressions fugaces mais prégnantes.
Avec douceur et retenue, Laura Kasischke nous fait pénétrer peu à peu dans les méandres de la pensée de son personnage. Et comme souvent chez l’auteure (dont nous avons déjà parlé ici), les apparences sont trompeuses : une matinée de Noël, cliché américain par excellence, peut s’avérer bien plus inquiétante qu’il n’y paraît…
Entre Virginia Woolf, David Lynch et Alfred Hitchcock, Esprit d’hiver nous fait glisser lentement dans un univers étrange où le quotidien, soudain, ne soutient plus, où les liens familiaux peuvent tourner à l’asphyxie. Le drame s’annonce à l’horizon mais se dérobe et réapparait là où on ne l’attendait pas.
De livre en livre, le talent de conteuse de Kasischke ne se dément pas. On découvre dans celui-ci un aspect plus intimiste et plus sombre de son travail.

Référence :
Laura KASISCHKE, Esprit d’hiver, traduit de l’anglais (États-Unis) par Aurélie Tronchet, Christian Bourgois, 2013.

16 septembre 2013

Sombre est la route

Mauvaise Étoile, R.J. ELLORY

Cinquième traduction en français de l’un de nos écrivains préférés. Noir, très noir, mais haletant.

Alors qu’ils n’étaient encore que des enfants, Elliott Danzinger et Clarence Luckman, nés de deux pères différents, assistent à l’assassinat de leur mère. Sans famille, ils passent leur enfance et le début de leur adolescence dans des institutions, des maisons de correction et des établissements pénitentiaires pour mineurs. L'avenir semble tout tracé — le passage par la case prison n’est certainement qu’une question de temps — ce qui ne les empêche pas de s’imaginer une vie meilleure, celle du rêve américain du début des années 1960. Une page froissée, tirée d’un magazine et le nom d’une ville : Eldorado, Texas.
Mais leur mauvaise étoile ne l’entend pas de cette oreille. Lorsque le convoi qui devait l’amener à la prison (où il finirait sa vie au bout d’une corde) fait arrêt au centre de détention des deux frères, Earl Sheridan saisit sa chance: il prend en otage Elliott et Clarence. C’est le début d’une cavale meurtrière et, pour les deux garçons, une confirmation : le hasard ne fait décidément pas bien les choses.

 Moi […] je suis né sous une mauvaise étoile. […] C’est une conjonction de planètes. Tu sais ce que c’est une conjonction ? C’est une combinaison d’événements ou de circonstances. Eh bien quand je suis né, je crois qu’il y avait une conjonction particulière. Une planète était à tel endroit, une autre à tel autre, et ainsi de suite à d’autres endroits. Et elles ont une force magnétique. […] Bref, elles étaient dans une certaine position, et je suis né pile au mauvais moment, et c’est pour ça que je m’appelle Luckman, parce que de la chance, j’en aurai jamais…

Il ne faut pas en dire davantage car le voyage des trois fugitifs — tout comme celui du lecteur — est semé de (mauvaises) surprises. La fratrie se déchire à mesure que s’accumulent les ennuis et que s’envolent les chances d’une issue heureuse. 
À chaque arrêt, c’est la possibilité d’un nouveau drame, d’un nouveau crime. En quelques lignes Ellory dresse le portrait de tous les personnages qui jalonnent le roman et qui voient leur destin brisé par une mauvaise rencontre. La violence de certaines scènes est saisissante mais ni gratuite ni complaisante. Rien n’est d’ailleurs jamais le fruit du hasard dans ce road-book rural au rythme qui va crescendo : chaque pièce du puzzle nous avance d’une case vers une résolution que l’on devine tragique.
On retrouve dans ce roman les thèmes fétiches de l’auteur : la lutte du bien contre le mal (avec à nouveau ici un beau personnage de policier entêté), la rédemption, la part sombre de l’humanité.  
 
Il y a des personnes qui naissent mauvaises, et quoi qu’on dise ou fasse, elles resteront mauvaises. Earl Sheridan est comme ça. Et il y en a d’autres qui tombent sous leur influence et qui deviennent mauvais à leur tour. Toutes seules, ça va, mais dès qu’on les met avec quelqu’un de mauvais, elles se mettent à faire n’importe quoi. 

Ellory (dont nous avons déjà beaucoup parlé ici) nous embarque une fois encore dans une quête qui semble perdue d’avance et qui, à mesure où les chapitres s’enchaînent, parvient à allier le sens du suspense à celui de l’émotion habilement maîtrisée.
Mais patience : le livre ne sortira que le 3 octobre.

Référence :

Mauvaise Étoile, R.J. ELLORY, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Fabrice Pointeau, Sonatine Éditions, 2013.

9 septembre 2013

Le mot en "R"


Les vacances sont finies (et les pluies d'aujourd'hui confirment mon impression...) et nous avons repris le chemin de l'école, parmi bien d'autres chemins que cette nouvelle année nous fera emprunter (pour les non-enseignants: le prof ne connait pas les années civiles!).
Alors ce n'est pas qu'on ne lit plus ou qu'on n'en a pas envie mais nous sommes le nez dans la rentrée et nous laissons donc le blog vivoter tranquillement avant de revenir vous parler de nos lectures de la rentrée littéraire... 

Bonne rentrée à toutes et tous!

PS: et en illustration, une belle image d'Amandine et moi, en route pour l'école.